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BERNADETTE DE
LOURDES
« Bernadette de Lourdes » Le Spectacle Musical,
sous lumière céleste, de Paris vers Broadway
de
Lionel Florence &
Patrice Guirao
mise
en scène Serge Denoncourt
musique Grégoire
avec
Eyma
Scharen, Sarah Caillibot, David Ban, Christophe Héraut & Gregory
Deck ainsi que Inès Jeannet, Laure Giordano, Daniel
Defilipi, Guillaume Muller, Cédric Pelzman & Damien
Sargue...
|
****
Dôme de Paris |
|
© Laurent Attias / Huguette &
Prosper
Alors que le 12 février 2018 débutait la carrière
médiatique de ce spectacle musical grâce à un showcase
organisé dans la chapelle du Val-de-Grâce, c’est pourtant
seulement 5 années plus tard que, pour 5 représentations au
Dôme ex Palais des Sports, le public parisien allait pouvoir enfin
apprécier ce projet artistique ayant été programmé,
dès l’origine, pour une montée en puissance selon des
étapes bien calibrées de Lourdes à Paris en passant
par une prochaine tournée hexagonale & internationale en perspective
de Broadway... avec d’ores et déjà en bonus plusieurs
représentations supplémentaires ajoutées pour juin 2024...
de nouveau au Dôme de Paris.
C’est donc ainsi que les cinq principaux chanteurs comédiens
(Eyma Scharen, Sarah Caillibot, David Ban, Christophe Héraut, &
Gregory Deck) étaient déjà présents dès
la prise de contact initiale au Val-de-Grâce avec leur présentation
de quelques extraits emblématiques comme «
Aquero
» et «
Allez dire
».
C’est bien entendu déjà Eyma, âgée alors
de 16 ans, qui incarnait Bernadette Soubirous avec toute la candeur parfaitement
maîtrisée indispensable à cette interprétation
de la jeune bergère à la fois fascinée et
déterminée par sa destinée mariale.
Mais, précisément, celle-ci ne sera pas en mesure de nommer
ou d’interpréter le sens des 18 apparitions successives, à
partir du 18 février 1858, dont elle affirmera avoir été
témoin et même sujet d’un choix électif sans raison
réellement signifiante.
C’est pourquoi le spectacle synthétisera ce phénomène
inexpliqué en l’intitulant « Aquero »,
c’est-à-dire « Celle-là... » en patois.
Tout le mystère de cette représentation théâtrale
va se déduire de ces prémices qui feront de Bernadette une
porte-parole divinatoire sans qu’elle ressente le besoin de justifier
ses dires autrement qu’en rapportant aux autorités qui
l’interrogeaient les désidératas de l’Apparition
céleste...
A aucun moment ne sera franchit le pas religieux ou même transcendantal
qui ne saurait appartenir à la jeune fille de 14 ans alors que celle-ci
mettra un point d’honneur à ne transmettre, face aux forces
coercitives de dénégation à la fois familiales et
institutionnelles, que ce qu’elle aura vu et entendu.
Il s’agit donc bel et bien de l’histoire de Bernadette Soubirous
avec son père, sa mère et ses deux sœurs au sein d’une
famille extrêmement pauvre sur laquelle les événements
de la grotte de Massabielle vont avoir de considérables
répercussions.
Ainsi le livret musical composé par Grégoire sur des textes
de Lionel Florence & Patrice Guirao reprendront, un à un
méthodiquement, les diverses facettes du psychodrame sociétal
déclenché par la succession des apparitions d’ «
Aquero » avec son souhait persistant d’élever une chapelle
près de la grotte afin d’en faire un lieu de rassemblement
universel.
Entre une mère effarée par les rumeurs pouvant susciter
la destruction de la cellule familiale tout en implorant que sa fille se
rétracte, un père tout aussi désemparé mais
prêt néanmoins à croire sa fille adorée, des
sœurs quelque peu envieuses de la notoriété acquise par
leur aînée, des enquêteurs et autres responsables
administratifs, politiques et ecclésiastiques entraînés
dans les affres du tourbillon idéologique avec des conflits
d’intérêts surgissant de toute part, Bernadette restera
imperturbable dans ses déclarations toujours fidèles à
rapporter le « factuel » dont, malgré la foule des
pèlerins convoqués, elle restera la seule témoin et
dépositaire de la parole mariale.
Pour ensuite passer d’Aquero à Marie, il n’y aurait
eu qu’un pas mais ce sera pourtant l’obstacle principal à
franchir pour fédérer les multiples expertises sur un accord
que les diverses autorités finiront néanmoins par admettre...
mettant du même coup fin à la saga personnelle de Bernadette
à Massabielle.
Tout le processus de reconnaissance collective aura été
basé sur la parole d’une adolescente inspirée par un
idéal qui la dépasse en se faisant le relais d’une force
mystique irradiante pour valider un contrat moral entre l’indicible
et le prosaïque.
Convaincus de l’énergie tellurique du message et de son
magnétisme spectaculaire, les producteurs Eléonore de Galard
& Roberto Ciurleo ont mis en place un dispositif vertueux devant
entraîner le concept de perfection vers l’absolu dans tous les
domaines de la réalisation artistique pour aboutir à une panoplie
du dépassement de soi, de volonté humaniste, de transgression
vers le merveilleux, de mélodies lancinantes qu’au bout de la
chaîne créatrice les interprètes incarnent avec une
évidence tellement naturelle que sa puissance fédératrice
n’aurait d’égale que son impact sur le public.
Nous en voulons pour preuve le charisme intuitif d' Eyma imprimant sur
son personnage insaisissable par ses proches et tous les scrutateurs du
comportement, une sorte d’angélisme déterminé à
ne laisser quiconque saborder son rôle d’influenceuse sans aucune
borne infranchissable. Sa voix limpide au-delà de toute mue qui serait
malvenue, transgresse allègrement l’ensemble des contraintes
techniques que l’on imagine pléthoriques pour parvenir au miracle
d’être à la tête d’un chœur où chaque
rôle joue et chante sa partition en fusion avec les ailes invisibles
qui les portent tous vers un au-delà divin mais si proche d’Aquero
!
Au Dôme de Paris, la grotte représentée à
l’identique, selon une échelle à 80% de ses dimensions
réelles, suscite un réalisme dont l’esthétique
procure un sentiment d’authenticité et dont l’imaginaire
s’empare pour conforter l’empathie et la bienveillance face à
une « persévérance éthique » sans faille,
véritable enjeu de cette Comédie musicale sans la moindre
chorégraphie et mise en scène sur le tempo de la persistance
par Serge Denoncourt.
Le public est fasciné par la qualité des voix et la puissance
musicale qui peut, notamment, rendre poignante les supplications d’une
mère prônant le reniement dans la chanson « Ma Fille ».
L’argumentaire pousse en effet chacun, de façon souvent
contradictoire, à penser contre soi-même de façon à
s’élever au-dessus des contingences terre à terre et le
souffle musical, en stand-by récurrent, est sollicité en permanence
pour prendre l’envol nécessaire afin de se hisser bien au-dessus
du spéculatif rationnel.
Ainsi, quand le père s’interroge humblement sur ce que sa
condition de n’être qu’un homme, avec son cortège
de faiblesses et de lâchetés, pourrait contrarier la mission
de sa fille dont il a, par ailleurs, beaucoup de mal à comprendre
les modalités, apparaît ainsi en creux le questionnement
introspectif qu’il va lui falloir surmonter de manière vitale...
pour ouvrir grandes les portes d’un défi pouvant appeler à
l’unisson, la foi et l’amour.
« Madame » fabuleux hymne dédié en miroir
poétique se présente alors comme une prière destinée
à la transcendance pour qu’elle demeure attentive au péril
implicite de l’humanité qui, elle en retour, célèbre
et respecte sa qualité de guide universel « Madame qui un jour
m’avait élue... je vous bénis et vous salue ».
La boucle est ainsi bouclée, « Bernadette de Lourdes »
avec plus d’une vingtaine d’artistes interprètes en osmose
sur scène pourra enfin laisser la destinée miraculeuse se mouvoir
de ses propres ailes sur orbite sidérale afin d’ aller dire en
chœur, passionnément, au monde entier : « Ave Maria !
».
Theothea le 05/10/23
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LE MYSTERE SUNNY
« Le Mystère Sunny » Chesnay &
Briançon en tête à tête ambivalent au
Montparnasse
de Alain Teulié
mise en scène
Dominique Guillo
avec
Patrick Chesnais & Nicolas Briançon
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***.
Théâtre Montparnasse |
|
© Fabienne Rappeneau
Pour que la notoriété de ces deux comédiens puisse
les convier au face à face un soir de Christmas, il fallait, a minima,
un défi qui les réunisse autant qu’il les dissocie afin
que leurs singularités spécifiques se fédèrent
en un jubilatoire feu d’artifices.
L’un affichant une posture d’aristocrate goguenard, l’autre
affublé d’un postiche façon « Groucho Marx »,
tous deux apparaissent « en public » à belle hauteur d’une
tour de Manhattan dans un magnifique décor d’appartement avec
vue panoramique sur la skyline New-Yorkaise (Jean Haas).
Il ne s’agirait pourtant pas d’une comédie mais plutôt
d’une quête aux rôles interchangeables où la proie
et son chasseur se prendraient au jeu de la vérité à
débusquer... alors que celle-ci va sans cesse leur échapper.
Mais pourquoi diable Claus von Bülow vient-il déranger son
avocat Alan Dershowitz s’apprêtant à quitter son cabinet
professionnel pour fêter Noël en famille alors qu’il a obtenu
l’acquittement de ce visiteur du soir dix années auparavant,
lorsque celui-ci était accusé du coma profond de son épouse
qui, au bout du compte, se prolongea sur près de 28 années
?
Et pourquoi donc Alan accepterait-il de se laisser ainsi importuner,
tout en retrouvant peu à peu, au fil d’une discussion à
fleurets mouchetés, ses repères judiciaires lui permettant
de tester à nouveau les principaux éléments de sa
défense « en béton armé », au bénéfice
de ce client fortuné, dont il avait alors élaboré la
stratégie grâce à l’expertise de son équipe
d’étudiants ?
Le vrai mystère de cette fiction écrite par Alain Teulié
réside incontestablement dans cette rencontre qui n’a jamais
eu lieu et qui pourtant répond point par point au premier procès
engagé contre Von Bülow ayant été, à ce
stade initial, reconnu coupable.
C’est donc bien Alan Dershowitz qui a sorti Claus de cette lourde
condamnation en gagnant l’appel et bien qu’il eût accepté
sa défense en étant quasiment persuadé que son client
lui mentait.
Cependant il faut dire que les preuves patiemment réunies par
ses collaborateurs sous son contrôle, au sujet d’injections
d’insuline criminelles qui s’avérèrent en
définitive non validables scientifiquement, auront permis de convaincre
le jury.
C’est pourquoi le récit de ce travail d’enquête
juridique, publié par Dershowitz et pleinement médiatisé
à l’époque aux USA, aura finalement accouché du
fameux film de Barbet Schroeder « Le Mystère von Bülow »
ayant obtenu 3 Oscars dont notamment celui couronnant
l’interprétation de Jeremy Iron.
Aujourd’hui donc, en création théâtrale au
Montparnasse, « Le Mystère Sunny» se présente comme
l’autre face du procès se reflétant en miroir tout en
recentrant, a posteriori, la focale autour de la victime.
En effet, à ce jour, Claus von Bülow et Sunny sont tous les
deux disparus et, par conséquent, le secret qui les liait intimement
ne pourra donc jamais être découvert.
Aussi réunir Patrick Chesnais et Nicolas Briançon pour
jouer le « replay » de cette intrigue où la place du tiers,
en la personne de l’avocat, apparaît comme la cheville ouvrière
d’une histoire amoureuse s’étant délitée au
sein de la classe sociale américaine la plus fortunée, se
métamorphose en enjeu théâtral à haute valeur
ajoutée avec perspective sociétale pleinement signifiante...
Toutefois la clef contingente à cette réalisation restera,
avant tout, celle tellement gratifiante de l’aptitude à savoir
apprécier le subjugant jeu paradoxal des deux comédiens
aguerris.
Roublard, distancié et impénétrable pour l’un,
attentif, pragmatique et ambivalent pour l’autre, leur dialogue est
autant à décrypter dans leurs verbes respectifs que dans leurs
postures.
Le ton est à la recherche de ce qui peut faire empathie autant
qu’à ce qui pourrait déclencher et valider le doute.
La soirée théâtrale est à consommer face aux
symboliques « ex Twin Towers ». C’est ainsi qu’une
époque aurait parfaitement réussi à chasser l’autre...
c’est-à-dire de manière implicite.
Theothea le 16/10/23
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L'OPERA DE QUAT'SOUS
« L'Opéra de Quat'sous » Création
Lyrique d'Ostermeier à La Comédie-Française.
de Bertolt Brecht
musique Kurt
Weill
mise en scène
Thomas Ostermeier
avec
Véronique
Vella, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Stéphane Varupenne,
Benjamin Lavernhe, Birane Ba, Claïna Clavaron, Nicolas Chupin, Marie
Oppert, Sefa Yeboah, Jordan Rezgui ainsi que le choeur et l’orchestre
Le Balcon |
****
Comédie-Française Salle
Richelieu |
|
© Jean-Louis Fernandez, coll.
Comédie-Française
D'entrée de jeu, un bandeau lumineux aux lettres rouges défile
et initie le public sur le spectacle qu'il vient voir : « ce soir, vous
allez voir un opéra pour clochards - comme un opéra aussi somptueux
ne peut exister que dans un rêve de clochard, mais comme il devait
être assez cheap pour que les clochards puissent aussi se le payer,
on l'a appelé l'Opéra de Quat'sous ».
Ce prélude nous annonce que cet Opéra est conçu pour
le gueux, le miséreux, !e loqueteux. Thomas Ostermeier, grand dramaturge
qui affrontait pour la première fois un Opéra a saisi
celui-là à bras le corps le connaissant par coeur comme tous
les allemands en sollicitant la troupe de la Comédie-Française
avec laquelle c'est leur troisième collaboration.
Le choix d'opter pour des comédiens de théâtre peut
être surprenant. Mais l'Opéra de Quat'sous de Bertolt Brecht
et Kurt Weill, créé le 31 août 1928 au Theater am
Schiffbauerdamm de Berlin n'est pas un Opéra lyrique, c'est une
comédie musicale composée de nombreuses chansons populaires
et des scènes parlées. Il faut jongler entre le chant et le
langage argotique, lier le parlé et le chanté, placer le curseur
sur la déclamation et faire appel à des acteurs plutôt
qu'à des ténors.
Après avoir inauguré cet été le 75ème
festival d'Aix en Provence sur la scène de l'Archevêché
en plein air, étonnant choix d'ailleurs pour cette revue grivoise
qui dynamite un genre réputé bourgeois, la pièce est
reprise à la Comédie-Française.
En entrant dans la grande salle Richelieu, les spectateurs sont surpris
d'emblée par un dispositif minimaliste sur fond noir, un plateau
encombré d'une structure métallique surélevée
servant de passerelle desservie par des escaliers ou de prison (décor
conçu par Magdalena Willi). Des projections sur écran aux
références constructivistes des scénographies russes,
cercles et rectangles noirs et rouges, saturées d'images d'archives,
accompagnées de panneaux lumineux déroulant en lignes
géométriques des titres en gros caractères comme des
points de repère à la place d'un récitant s'afficheront
tout au long de la représentation (vidéaste Sébastien
Dupouey).
Devant 4 micros sur pieds en avant-scène, les comédiens jouent
leur partition de petites ou grandes crapules des bas-fonds de Soho avec
un dynamisme évident. L'opéra de Quat’sous se passe dans
le milieu du crime londonien, sur fond de couronnement royal. Jeremiah Peachum
loue des coins de rues à des mendiants en échange d’une
partie de leurs recettes. Il est marié à Celia Peachum, une
femme au tempérament bien trempé. Il a pour rival le redoutable
chef d'une bande de malfaiteurs nommé Macheath, Mackie ou Mac-la-Lame.
Ce dernier est une variante de Casanova qui s’évertue à
dissimuler à sa dernière conquête Polly les autres femmes
de sa vie dont Lucy.
Claïna Clavaron (Lucy), lutine chatoyante emperruquée, ouvre
le bal en entonnant avec beaucoup de facéties '' la Complainte de
Mac-la-Lame '', le fameux tube de l’Opéra de Quat’sous.
Un peu plus tard, apparaît Polly, la fille des Peachum,
interprétée par une Marie Oppert très espiègle,
seule artiste à bénéficier d’une solide technique
de chant classique ( Les Parapluies de Cherbourg ; rôle-titre de Peau
d'Ane au théâtre Marigny) qui séduit davantage
l’oreille. Toutes les deux s' affronteront telles des tigresses en chantant
un magistral '' Duo de la jalousie '' tout en grimpant sur les grilles de
la prison, chacune affirmant être l'élue de Mackie enfermé
derrière les barreaux.
Christian Hecq, cocasse et burlesque Monsieur Peachum, fait un irrésistible
numéro dans la chanson '' De la parfaite inutilité de
l’effort humain ''. Avec sa dégaine extravagante impayable, il
est l'incarnation même de la fieffée canaille. Associé
à la pétulante Véronique Vella dont la verve parigote
est truculente à souhait, ils forment un couple cynique et drolatique
qui crève littéralement les planches. Gouailleuse remarquable,
Véronique Vella offre une vulgarité vocalement
maîtrisée sous sa fourrure bariolée dans '' la Ballade
de l'asservissement sexuel ''.
Birane Bâ a la lourde responsabilité d'interpréter
Mac-la-Lame. Vêtu de cuir noir, longiligne, charismatique, aux multiples
facettes très expressives, il insuffle à son personnage une
certaine humanité se manifestant amplement dans '' l'Epitaphe ou Mackie
demande pardon à tout le monde '', adaptation de la Ballade des pendus
de François Villon.
Stéphane Varupenne qui joue en alternance avec Benoît Lavernhe
Brown le chef de la police corrompu, ami de longue date de Mackie, maîtrise
bien son jeu.
En souvenir de leur passage dans l'armée et de leur amitié,
les deux compères formeront un duo hilarant pour interpréter
'' le Chant des canons ''.
Elsa Lepoivre, puissante Jenny, la prostituée qui trahira Mackie,
chante de sa voix grave enjôleuse la fameuse '' Chanson de Salomon
''.
Les acolytes de Mac-la-Lame, le Robert de Nicolas Lormeau, les Filch et Saul
de Sefa Yeboah, le Matthias de Jordan Rezgui et le Jacob de Nicolas Chupin
convainquent principalement par leurs qualités dramatiques.
Excepté Marie Oppert donc, les comédiens sur scène viennent
du théâtre. Cela a représenté plus d’un an
de travail pour qu’ils s’approprient cette partition exigeante.
Ils s’en sortent avec brio. Cette troupe s'est investie avec ardeur
et parvient à donner toute sa dimension sociale à cette
pièce.
On rit beaucoup dans cette première version de 1928 mise au goût
du jour par une traduction plutôt rabelaisienne d'Alexandre Pateau
avec les gros mots d'aujourd'hui. C’est cru, abrupt, cruel et sans
concession.
Les artistes vêtus des costumes ultra kitch taillés par Florence
von Gerkan s'en donnent à coeur joie en surjouant la vision guignolesque
de ce milieu d'estropiés, de marginaux, de miséreux où
tout le monde trahit tout le monde, où domine la corruption, où
la lutte des gangs est sans pitié.
Les gags et les piques se succèdent avec de nombreux clins d'oeil
au public et des passages improvisés se glissent entre les répliques
à l'impertinence cabaretière pour titiller le quatrième
mur. Un bémol peut-être avec la scène clownesque un peu
lourde de la tarte à la crème lors du mariage clandestin de
Mackie avec Polly qui semble longue et répétitive.
Cette comédie-parodie aux chansons de rue qui relèvent du cabaret
allemand et d'Europe de l'Est est soutenue par la musique tonitruante
réalisée par Maxime Pascal. Son Orchestre '' Le Balcon '' joue
en live et c'est un régal. Des cuivres qui rutilent, des rythmes
énergiques dansés et aussi des sonorités exotiques et
accents forains de trompette émanent de la fosse dirigée, ce
soir-là, par Delphine Dussaux.
Les envolées lyriques servent à vanter les plaisirs sensuels
de la chair. Ainsi comme le déclame Madame Peachum avec morgue dans
le « Deuxième finale de Quat’sous » devant un choeur
explosif qui se déchaîne allégrement : « D’abord,
la graille et la morale, après ».
Une strophe finale est rajoutée à ce livret en 3 actes où
le choeur habillé de guenilles, les comédiens et les musiciens
venus rejoindre la troupe entonnent avec conviction un très court
couplet inédit « Partez à l'assaut des nouveaux fascistes
!....»
Une résonance glaçante avec le présent qui sonne comme
un rappel et nous remémore que l'Opéra de Quat'sous de 1928
est une oeuvre de Bertolt Bretch d'avant son théâtre politique
et marxiste et que Thomas Ostermeier a préféré mettre
l'accent sur l'humour carnavalesque et satirique de cette version originelle
alors que l'auteur complètera celle-ci en 1948 en réaction
aux crimes du régime fasciste de son pays.
Par sa nature hybride, ce spectacle peut en déconcerter plus d'un,
pas assez bien chanté pour les amateurs d’opéra…
et pourtant chapeau bas ! les Comédiens du Français
galvanisés par la flamboyante musique de Maxime Pascal et la direction
de Thomas Ostermeier nous ont éblouis. Cet '' Opéra de Quat'
sous '' est totalement jubilatoire. Une véritable performance
théâtrale !
Cat’s / Theothea.com le 20/10/23
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BORDERLINE
« Borderline » Russo & Lelièvre -
Confrontation exacerbée au Théâtre de Passy
de Flavia Coste
mise en scène Daniel
Russo
avec
Daniel Russo & Philippe Lelièvre
|
***.
Théâtre de Passy |
|
© FABIENNE RAPPENEAU
La promotion du spectacle annonce qu’un fou se déclarant
guéri veut mettre fin à ses rendez-vous avec son psychiatre.
Le rire des spectateurs par salves récurrentes va confirmer que
le bouche à oreille ne se trompe pas de cible en misant pleinement
sur la transgression des limites à ne pas franchir.
Et d’ailleurs Daniel Russo a jeté son dévolu sur la
pièce de Flavia Coste à la fois comme comédien mais
aussi en tant que metteur en scène, d’abord et avant tout parce
que l’enjeu théâtral ne cesse de grimper toujours plus
haut et ce jusqu’au salut final.
Mais de quoi y parle-t-on au juste ? Pour aller vite, disons de séances
de psychothérapie dans lesquelles le patient et son soignant subiraient
l’un et l’autre un mal-être envahissant au point d’en
produire une relation d’abus de pouvoir interdépendant
particulièrement toxique.
En imaginant alors une succession de dérapages non
contrôlés, l’auteure fait glisser le centre de gravité
thérapeutique du côté du gag versatile et irrationnel
jusqu’à en devenir la caricature du soin clinique évoluant
sans aucun filet de sécurité.
La salle, bien sûr, en redemande jusqu’à plus soif
d’autant plus qu’elle sent fort bien que derrière ce trop
plein de « hors pistes » se cache très certainement une
grande part de vérité qu’un traité de psychanalyse
abscons ne saurait résoudre à lui seul.
Et c’est ainsi, sans doute à l’insu des interprètes
eux-mêmes et peut-être également des spectateurs, que
cette pièce, contenant par ailleurs une part autobiographique non
négligeable de l’auteure, va « matcher » avec un réel
syndrome relativement peu connu s’appelant précisément
dans la nosographie médicale « Borderline ».
De quoi s’agit-il de facto ?
D’un dérèglement de la personnalité où
les émotions prenant le pas sur tout autre considération au
quotidien, envahissent le patient au point de le faire changer successivement
de points de vue sur lui-même et sur les autres, de multiples fois
en peu de temps, lorsque surviennent les crises auxquelles il est sujet sans
pouvoir en juguler le ressenti.
Bien entendu, ce patient n’est point « fou » mais son
entourage a beaucoup de difficultés à contenir son comportement
sociétal dans des limites acceptables par autrui. D’ailleurs
lorsqu’ils sont mal diagnostiqués et en déficit
d’accompagnement thérapeutique, beaucoup de ces patients deviennent
des cas asociaux.
La pièce de Flavia Coste s’appuie donc, en connaissance de
cause, sur ce syndrome psychiatrique en prenant le parti de rire des situations
abracadabrantes qu’il déclenche sans pour autant prêter
le flan à la moquerie des protagonistes, en premier lieu du patient
exacerbé mais également du soignant qui lui aussi n’est
pas exempt des aléas de contre-transfert.
Cependant le psy Russo a précisément une arme défensive
particulièrement efficace, il ponctue souvent ses raisonnements de
proverbes universels qu’il est impossible de remettre en question alors
que, frappés au coin du bon sens, ceux-ci s’avèrent
surréalistes et franchement drôles.
Le défoulement hilarant proposé au public par les deux
compères sur scène n’est donc pas ambigu car il repose
sur une description factuelle d’une situation pathologique en
l’occurrence fictive, condensée et quelque peu
accélérée mais, sans doute, n’est-il pas inutile
de préciser que les malades de ce trouble souffrent de ne pas être
suffisamment reconnus par la société d’autant plus que
celui-ci se déclenche généralement à partir
d’un sentiment objectif voire même subjectif de solitude suite
à un important traumatisme.
La performance théâtrale de Daniel Russo et Philippe
Lelièvre a d’autant plus de mérite salvateur qu’elle
peut ainsi sensibiliser les spectateurs à ce dysfonctionnement
d’humeur... tout en faisant place nette au rire, de fait, fort
libérateur.
Theothea le 24/10/23
|
|
LE
REPAS DES FAUVES
"Le repas des Fauves" Pusillanimité bien partagée
avec Thierry Frémont au Théâtre
Hébertot
de Vahé
Katcha
mise en scène
Julien Sibre
avec
Thierry
Frémont, Cyril Aubin, Olivier Bouana, Stéphanie Caillol,
Sébastien Desjours, Benjamin Egner, Jochen Hägele, Stéphanie
Hédin, Jérémy Prevost, Julien Sibre, Barbara Tissier,
Alexis Victor
|
*** .
Théâtre Hébertot |
|
© FABIENNE RAPPENEAU
Dans la salle du théâtre Hébertot, sous la houlette
de Francis Lombrail, son directeur depuis 2013, les Fauves se réinvitent
à table en présence d'un public nombreux, effet d'un retentissant
bouche à oreille.
Le multi-moliérisé "Repas des fauves" en 2011 - 3
récompenses : Molière de l'adaptateur, Molière du metteur
en scène et Molière du théâtre privé -
revient donc à Paris sous la férule du même metteur en
scène Julien Sibre.
Adapté d’après la pièce de l’écrivain
et scénariste d’origine arménienne Vahé Katcha
écrite en 1960, Le Repas des fauves fut d’abord connu au cinéma
par le film de Christian-Jaque où Claude Rich et Francis Blanche entre
autres rivalisaient de veulerie dégoulinante.
C'est donc en voyant ce film que Julien Sibre a eu l'idée de
s'approprier cette pièce avec l' accord de l'auteur
(décédé entre-temps, en 2003).
Sa création eut lieu le 22 octobre 2009 au Théâtre
André Malraux de Rueil-Malmaison, avant d'être jouée
de septembre 2010 à janvier 2011 au
Théâtre Michel.
E!le est reprise pour une seconde période au même
théâtre de septembre 2012 à janvier 2013. Elle se produira
au Théâtre du Palais-Royal pour 50 représentations en
mai 2013.
Forte d'un succès de plus en plus populaire, Julien Sibre décide
de la réactualiser en 2023. En la dynamisant un peu plus, lui insufflant
une vitalité et un rythme particulièrement speed afin de la
rendre encore plus attractive envers un public jeune. La distribution assez
similaire à celle de sa création donne aujourd'hui des
comédiens fort aguerris et la réputation de Thierry Frémont,
nouvelle recrue, vient rajouter un agrément supplémentaire.
Dans un appartement cossu et bourgeois aux fenêtres calfeutrées
par des journaux (décor de Camille Duchemin), sept convives veulent
fêter un anniversaire en tentant de faire abstraction d'une
réalité extérieure pourtant prégnante qu'une
série d’images d’archives et d’animations graphiques
en fond de scène qui ne sont pas sans rappeler dans leurs tons les
monochromes de Persépolis de Marjane Satrapi, artiste franco-iranienne,
mettra en exergue pour frapper les esprits et placer les spectateurs dans
la situation tangible qui menace au-dehors du huis clos intime (Cyril Drouin
en est le réalisateur graphique).
Nous sommes sous l'Occupation en 1942. C'est la guerre et pourtant le
couple Pélissier reçoit ses plus proches amis pour les 30 ans
de Sophie. L’espace d’une soirée, on va essayer de mettre
de côté tous les soucis. En dépit de la pénurie
et les rationnements imposés, il a fallu des trésors de
débrouillardise pour trouver un cadeau, des bas nylons ou un cognac
de 10 ans d'âge et des bonnes choses à manger. André,
le roublard patron d’une usine de sidérurgie qui deale avec
l’armée allemande sans aucun scrupule débarque avec des
produits de luxe : saucisson de Lyon, terrine de canard, parfum et ....une
caisse de Champagne Magnum... « ce n'est pas la morale qui vous
étouffe » lui lancera Françoise, veuve de guerre. «
A la guerre comme à la guerre » réplique-t-il « l'acier,
l'acier, à ma façon je fais aussi de la résistance !
''
On échange des propos sans grande portée, on se lance quelques
vannes et quelques réparties qui font mouche, on évite surtout
de parler politique et on met de la musique pour danser.
Soudain, on entend des coups de feu et des aboiements féroces,
des têtes de chiens aux dents acérées apparaissent en
vidéo. La réception est perturbée par l'irruption brutale
du Commandant SS Kaubach exigeant, sur des fondements totalement arbitraires,
deux otages à fusiller dans chaque appartement en représailles
d'un attentat commis sous leurs fenêtres. Il pousse le sadisme
jusqu'à offrir aux convives de choisir eux-mêmes les deux
sacrifiés !.
Et comble d'ironie perverse, après tout ce n'est pas un barbare,
il leur laisse un peu de temps pour terminer leur petite soirée pendant
qu'il regardera la collection des livres anciens de Victor, le libraire mari
de Sophie. C'est à partir de ce moment déterminant qu'un
mécanisme d'horlogerie se déclenchera. Un décompte
mortifère s'engagera où tous les coups bas sont permis.
Jochen Hägele interprète excellemment cet officier allemand
qui manie le cynisme subversif avec un plaisir non dissimulé. Il est
le marionnettiste qui tire les ficelles et mène toute cette clique
par le bout du nez. Jouant sur leur panique, il mesurera à quel point
leur apparente indéfectible amitié va se déliter.
On cherche d'abord des solutions collectives, des échappatoires
: faire jouer ses relations ? s'enfuir ? soudoyer l'ennemi ? trahir ses amis
? rien ne marche, alors on en viendra à se demander individuellement
quelle vie vaut plus la peine de vivre que l'autre, Jean-Paul le médecin,
donneur de leçons (Cyrille Aubin) prétextera qu'il a des victimes
à soigner, Victor le libraire (Olivier Bouana) qu'il a une femme à
protéger, Vincent le dandy philosophe provocateur plutôt je
m'en foutiste (Julien Sibre) qu'il veut encore en profiter, Pierre l'ancien
combattant aveugle (Jérémy Prévost) a l'espoir de retrouver
la vue et ne veut pas mourir aussi bêtement, celui qui détient
la palme de la pusillanimité, André (Thierry Frémont)
en tant que dirigeant d'une aciérie a tout intérêt à
faire marcher la machine. Il pousse la bassesse jusqu'à s'agenouiller
devant l' officier en le suppliant de l'épargner car tout est bon
pour éviter le pire. On n'a qu'une vie après tout !
Les masques tombent, les vernis éclatent, les rancoeurs et la peur
révèlent la lâcheté des uns et des autres.
L'avilissante manipulation est à son paroxysme quand Kaubach
désignera l'aveugle comme ''chasseur'' pour sélectionner les
deux otages et effrontément leur balancera : « Cinq qui devront
leur vie aux deux autres. Je vous offre là un beau rôle, non
? » « Un peu d'enthousiasme voyons, c'est un jeu ! » (jouer
à colin-maillard).
Le machiavélisme de Kaubach qui articule les fils invisibles fait
jaillir la personnalité profonde de chacun. Le texte de Vahé
Katcha fait preuve d’un réalisme cru sans complaisance.
Alors que Victor et André sont dans la ligne de mire, le coupable
de l'attentat est arrêté, les membres du groupe sont à
nouveau libres. Le jeu de massacre est terminé mais combien
l'humanité de chacun aura-t-elle été piétinée,
bafouée, saccagée.
Le Repas des Fauves met en scène des êtres qui, confrontés
à la mort, ont perdu toute notion de morale. Tous les repères
amicaux et sociaux s’effondrent et chacun développe un instinct
propre à sa survie. Pourtant, la dualité des êtres dans
la pire des lâchetés comportementales n'est pas aussi
manichéenne, sauvée par moments par l’humour présent
malgré l’angoisse et cette irrésistible envie qu’on
a de croire qu’une fois le chaos passé, tout pourrait peut-être
continuer comme avant ! « Victor on est amis ! » implore André
avant de partir.
La mise en scène de Julien Sibre imprime un rythme survolté
au déroulement de l’action à travers la diversité
des situations ; chacun exploite les ressources dont il dispose et fait feu
de tout bois : Fuite, argent, mérite, grossesse, dénonciation
d’un bouc émissaire…avec beaucoup d'énergie. Les
huit comédiens jouent sur un registre nerveux qui donne un tantinet
le tournis. On ne sort pas indemnes de cet ignoble ultimatum imposé
par l'occupant allemand mais on quitte la salle un peu groggy par tant
d'excitation.
Cat’s / Theothea.com le 02/11/23
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